5. LA CONDITION JUIVE "Aucun droit et mille obligations" Un vol à l'annexe a occasionné une descente de police. Les Frank et leurs amis ont craint d'être découverts et d'autant plus châtiés quels ne se sont pas, conformément aux ordres nazis, rendus à la police. L'ambiance est de plus en plus tendue, l'angoisse de plus en plus grande. Les discussions à l'Annexe n'en finissent plus. Kraler nous a reproché notre imprudence. Henkl aussi était d'avis que, dans un cas pareil, aucun de nous ne devrait se montrer aux étages inférieurs. L'on nous a rafraîchi la mémoire à propos de notre situation de "clandestins", de notre qualité de Juifs cloîtrés, cloîtrés entre quatre murs, n'ayant aucun droit et mille obligations. Nous, Juifs, n'avons pas le droit de faire valoir notre sentiment ; il ne nous reste qu'à être forts et courageux à accepter tous les inconvénients sans rouspéter, à nous en tenir à ce qui est en notre pouvoir, en faisant confiance à Dieu. Un jour, cette terrible guerre prendra fin, un jour, nous serons des gens comme les autres, et non pas seulement des Juifs. Qui nous a marqués ainsi? Qui a décidé l'exclusion du peuple juif de tous les autres peuples? Qui nous a fait tant souffrir jusqu'ici? C'est Dieu qui nous a faits ainsi, mais aussi, ce sera Dieu qui nous élèvera. Si, en dépit de ce fardeau que nous portons, nombre d'entre nous survivent toujours, il faut croire que, de proscrits, les Juifs deviendront un jour des exemples. Qui sait, un jour viendra peut-être où notre Ancien Testament enseignera le bien au monde, donc à tous les peuples - et c'est là la seule raison de nos souffrances. Nous ne pourrons jamais devenir les représentants d'un pays, quel qu'il soit ; jamais nous ne serons des Hollandais, ou des Anglais tout court; nous serons toujours juifs par surcroît. Mais nous tenons à le rester. Courage ! Soyons conscients de notre tâche sans nous plaindre, et soyons sûrs de notre salut. Dieu n'a jamais laissé tomber notre peuple. Au cours des siècles, nous avons été obligés de souffrir et, au cours des siècles, nous avons aussi gagné en force ; les faibles tombent, mais les forts survivront et ne tomberont jamais ! |