Regardons-nous, nous sommes
tous très différents. Toi tu as la peau très foncée, toi la peau claire; toi tu as des
cheveux crépus, toi des cheveux lisses. Pas deux qui se ressemblent. Même s'il y avait
ici deux vrais jumeaux, c'est-à-dire deux frères ou deux soeurs réalisés à partir du
même ovule et du même spermatozoïde, on constaterait entre eux, en regardant bien, de
nombreuses différences. Les scientifiques, face à cette diversité des hommes, ont
tenté de les classer, c'est-à-dire de les regrouper en catégories plus ou moins
homogènes. Toute une branche de la science, l'anthropologie, a cherché la réponse à
cette question: combien y a-t-il de races humaines? jamais les chercheurs n'ont pu se
mettre d'accord.

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Certains, se contentant de tenir compte de la
couleur de la peau, ont prétendu qu'il y avait quatre races: les Noirs, les Blancs, les
faunes et les Peaux-Rouges. Lorsque j'étais petit, je m'en souviens encore, nous lisions
en classe des livres où figuraient des portraits de ces quatre types d'hommes. Mais les
Blancs ne sont pas tout à fait blancs, et les Noirs pas tout à fait noirs. De nombreuses
populations sont à peine foncées, par exemple les Peuhls en Afrique; dans quelle
catégorie les mettre? |
Et puis pourquoi s'intéresser uniquement à
la couleur de la peau? Peu à peu, on a tenu compte d'autres traits, comme la texture des
cheveux, la forme des paupières, ou celle du crâne. À mesure que le nombre des
caractères considérés augmentait, on était obligé de multiplier le nombre de races.
Il y a un siècle, la confusion était totale. C'est alors qu'est intervenue une nouvelle
science, la génétique. On a compris que les traits apparents étaient la conséquence de
ce que chacun avait reçu lors de sa conception. Vous le savez tous maintenant, mais c'est
une découverte faite seulement au cours de ce siècle, l'ovule et le spermatozoïde qui
nous ont faits portaient chacun une collection d'informations ou, si vous voulez, de
recettes, les gènes, à partir desquels notre corps s'est construit dans le ventre de
notre maman, puis a poursuivi sa croissance au cours de l'enfance. |

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Si notre peau est noire, c'est que nous avons
reçu des gènes qui nous permettent de fabriquer en grande quantité un produit chimique,
la mélanine, qui s'y accumule. Si nos gènes nous en font produire une plus faible
quantité, nous sommes plus clairs; si nous ne possédons aucun de ces gènes, ou s'ils
sont hors d'état de fonctionner, nous sommes albinos. Beaucoup de gènes sont à
l'origine de caractéristiques très importantes pour le bon fonctionnement de notre
corps, mais qui ne sont pas immédiatement apparentes, ainsi les systèmes sanguins. Vous
savez tous si vous êtes A ou B ou 0, ce qui peut être décisif lors d'une transfusion de
sang. L'appartenance à ces catégories est plus importante que la couleur de notre peau
ou la forme de notre nez. C'est donc en fonction de cette caractéristique que l'on peut
essayer de définir les races. |
Le problème posé aux scientifiques était
totalement nouveau. Ils n'avaient plus à regrouper les populations selon leur apparence,
mais selon les gènes qu'elles portaient. Certains ont espéré trouver des gènes qui
n'existeraient que dans une population, qui en seraient comme l'étiquette. S'il y avait
eu un gène breton ou un gène alsacien, il aurait été facile de définir la race
bretonne et la race alsacienne. En réalité de tels gènes n'existent pas; les gènes que
l'on trouve chez les Bretons, on les trouve aussi chez les Alsaciens. Ce qui différencie
ces deux populations est simplement une différence de fréquence. Ainsi le groupe sanguin
B est un peu plus souvent rencontré en Alsace qu'en Bretagne. |

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Des recherches très nombreuses ont été effectuées pour
dessiner la carte de la répartition des gènes. Le résultat est qu'il est impossible de
tracer des frontières entre les groupes humains de façon à définir des races. Bien
sûr, un Pygmée ne ressemble pas à un Suédois; mais il existe presque autant de
différences entre deux Pygmées qu'entre un Pygmée et un Suédois. Aujourd'hui les
scientifiques ont renoncé à ces définitions.
Mais dans ta question il n'était pas
seulement question de différences entre les races. Tu voulais surtout savoir si certaines
étaient "meilleures" que d'autres. Ce mot est un véritable piège; il nous
fait croire que toute différence entraîne la présence d'un meilleur et d'un moins bon;
or c'est faux. Es-tu "égal" à ton voisin? La réponse est non, vous n'avez ni
les mêmes cheveux, ni la même taille... Vous êtes différents. Mais es-tu
"meilleur" que lui? Voilà une question à laquelle il faut ne pas répondre car
elle n'a pas de sens. Pour pouvoir répondre, il faudrait préciser de quel caractère il
est question. Peut-être es-tu meilleur à la course, mais moins bon en dessin; on peut
ainsi faire une longue liste avec les + et les -; mais résumer cet ensemble de
comparaisons par une seule affirmation est tout simplement absurde. Les Pygmées sont
certainement "meilleurs" que les Suédois s'il s'agit de survivre dans la forêt
équatoriale; ils sont, à coup sûr, moins bons pour passer dans la neige un long hiver
presque sans soleil. Chaque groupe humain a développé une certaine vision du monde; il a
mis au point une certaine façon de vivre; il s'est adapté à un milieu souvent plein de
dangers. Aujourd'hui coexistent de multiples cultures. La nôtre nous a permis de faire de
merveilleux progrès, en particulier dans la lutte contre la maladie. Nous pouvons en
être fiers. Mais elle n'est pas globalement "meilleure" qu'une autre, car elle
gâche ses réussites en commettant de graves erreurs, en particulier en abîmant notre
environnement. Il est temps aujourd'hui de chercher ce qui dans toute culture peut être
utile à tous les hommes. |

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Albert Jacquard, E=CM2,
Petit Point des connaissances, Le Seuil
Illustrations de Boll |